Le sociofinancement (crowdfunding en anglais) est une forme de financement alternative aux modèles traditionnels basés sur la publicité, les subventions publiques ou l’abonnement. En sociofinancement, le créateur d’un projet lance un appel général au public à qui veut bien contribuer à financer ledit projet, en échange de quoi les investisseurs sont récompensés par diverses contreparties personnalisées, selon leur niveau de contribution. Par exemple, pour une websérie, les donateurs de 20$ peuvent se voir offrir une affiche autographiée des artisans ainsi que leur nom au générique, alors que les fans offrant 50$ recevront également une copie DVD de la saison complète. Les expressions « production communautaire », «production participative », « financement participatif » ou «financement 2.0» sont également utilisées pour désigner cette pratique.
Les campagnes de sociofinancement opèrent soit selon le principe du «tout ou rien» ou selon celui du financement flexible. Dans le premier cas, le porteur de projet détermine un montant qu’il aimerait obtenir ainsi qu’un laps de temps qu’il se donne pour amasser cet argent. Par exemple, un réalisateur souhaitant lever des fonds pour son prochain court-métrage peut évaluer ses besoins à 10 000$ et se donner 60 jours pour atteindre cet objectif. Si il réussit à amasser cette somme dans les temps donnés, ses investisseurs seront chacun débités du montant qu’ils avaient promis et le projet aura réussi sa campagne de sociofinancement. Par contre, si l’objectif n’est pas rempli à temps, aucun argent ne sera débité du compte des investisseurs et le réalisateur ne recevra rien. La plupart des plateformes de sociofinancement opèrent selon ces termes. Dans le cas des campagnes à financement flexible, le créateur du projet à être financé affiche l’objectif monétaire qu’il aimerait atteindre, mais les dons qu’il cumule lui sont versés peu importe s’il atteint le montant fixé ou non. Règle générale, pour la majorité des campagnes de sociofinancement, le créateur conserve l’intégralité de ses droits sur la production à venir.
Plusieurs plateformes, beaucoup de projets
Bien qu’il soit plus populaire que jamais, le sociofinancement est loin d’être un phénomène né à l’ère 2.0. En 1958, John Cassavetes a financé son premier film Shadows grâce aux contributions du public suite à plusieurs appels radiophoniques : «Financez un film qui vous ressemble!» disait-il. Plus tard, plusieurs autres appels à contribution publique firent la manchette, dont le plus célèbre exemple est sans doute la campagne présidentielle de 2008 de Barack Obama, qui a réussi en 21 mois à amasser plus de 750 millions de dollars.
Bien que quelques créateurs développent leur propre plateforme pour mener leur campagne de sociofinancement, la majorité des projets appelant à la contribution de la communauté de trouvent sur des plateformes accueillant de nombreuses campagnes à la fois.
Kickstarter est la plus connues d’entre-elles; hébergeant des propositions toutes sortes liées entres autres aux arts, à l’audiovisuel, à la mode et à la technologie, elle ratisse large et est très visitée. Selon l’entreprise, qui opère selon le principe du tout ou rien, environ 44% des projets soumis sur Kickstarter réussissent leur campagne de financement. Le plus éclatant succès de la plateforme est sans doute celui de l’auteure-compositrice-interprète Amanda Palmer. L’artiste américaine a demandé au début mai 2012 un montant de 100 000$ pour financer la promotion de son nouvel album ainsi que sa prochaine tournée. En 30 jours, son projet a amassé la somme record de 1 192 793$, soit plus de 1 192% du montant initialement demandé. Bien qu’elle ne soit pas la seule à avoir été agréablement surprise par la communauté Kickstarter, le succès d’Amanda Palmer constitue tout de même un cas à part.
Indiegogo occupe une place grandissante dans l’univers des campagnes de financement participatif. Cette plateforme a la particularité d’être tout spécifiquement orientée vers le «social»; beaucoup d’emphase est mise sur le rayonnement des projets proposés sur les médias sociaux. Plus un porteur de projet mettra d’énergie à promouvoir sa campagne sur les réseaux sociaux et plus celle-ci attirera de dons, plus son «gogofactor» sera élevé et ainsi plus Indiegogo fera elle aussi la promotion de ce projet via ses comptes sur les réseaux sociaux et plus elle lui offrira une grande visibilité sur sa plateforme.
Basée également sur le modèle du tout ou rien, Touscoprod est dédié au sociofinancement de projets en cinéma et en audiovisuel. Les appels à financement lancés sur cette plateforme tournent principalement autour de l’amélioration des conditions de production, diffusion et promotion de projets de films. Parmi les campagnes réussies sur ce site, on compte le troisième long métrage de Xavier Dolan, Laurence Anyways, qui a légèrement surpassé son objectif de 35 000$ à la veille du lancement du film, au printemps 2012.
Webséries et sociofinancement
De plus en plus de créateurs de webséries québécoises se tournent vers le sociofinancement pour éponger en totalité ou en partie leurs coûts de production et de mise en marché. La plupart des projets webtélé d’ici optent pour un financement flexible, en se fixant quand même chacun un objectif chiffré. Parmi les campagnes actives en ce moment, notons celle de Manigances, saison 2. Les producteurs et réalisateurs de la série Isabel Dréan et Simon côté (aussi créateurs de Kebweb.tv), ont développé un microsite dédié à la levée de fonds permettant d’accueillir les dons des fans en échange de cadeaux personnalisés pour les donateurs.
Les Jaunes, nouvelle websérie portée par le réalisateur Rémi Fréchette et à être diffusée sur Kebweb.tv en 2013, fait un appel à tous pour financer son tournage. La campagne de financement de la comédie d’horreur se tient sur Indiegogo et se termine sous peu, le 2 juillet. Également sur Indiegogo, l’appel à tous pour la saison 2 de la websérie docu-fiction Pete Boisclair vient d’être lancé. Hervé Baillargeon et Charles Grenier, respectivement réalisateur et concepteur / comédien principal de la série, se tournent vers leurs fans pour faire revivre ce personnage pour le moins coloré qu’est Pete Boisclair, qui avait pris d’assaut les internets dans la première saison de la série, diffusée en 2009.
Enfin, une websérie qui se démarque légèrement des autres de par la communauté qu’elle vise et qui la porte, Féminin/féminin, la première websérie lesbienne au Québec, est en pleine campagne de financement sur Yoyomolo. La productrice Florence Gagnon détaille ainsi les raisons qui ont mené l’équipe à faire un appel à tous pour la première phase de leur financement: «Pour nous, c’est important que la communauté lesbienne participe à plusieurs étapes de la création, car nous manquons vraiment de modèles. Nous voulions que la communauté nous aide à façonner cette websérie, pas seulement financièrement, mais aussi au niveau du contenu. Il s’agit d’un projet qui exige beaucoup de travail et de moyens, nous avons donc voulu impliquer les filles autour de nous ainsi que leur entourage à elles aussi.» Le tournage de Féminin/féminin, réalisé par Chloé Robichaud, est prévu pour 2013. La websérie sera diffusée sur la plateforme dédiée à la communauté lesbienne Lez Spread The Word.
Billet écrit par: Gabrielle Madé